Après l’exploit en demi-teinte de 1952, où la nouvelle Aronde avait tourné 50 000 km avant de connaître quelques soucis techniques, Simca décide de revenir sur l’autodrome parisien avec la ferme intention de battre un record qui frappera les esprits : franchir le cap des 100 000 km !

Lorsque le 3 septembre 1952 l’Aronde cessa sa ronde après dix-huit jours et dix-sept nuits de marche, elle avait parcouru 52 884,312 km avant qu’un arbre de roue ne cède sous la pression permanente causée par le dévers de la piste. Vingt-sept records de catégorie avaient été néanmoins battus et, même si l’on avait tenu secrète cette avarie mécanique pour communiquer sur la performance des 50 000 km pulvérisés à 117,310 km/h, il restait dans la bouche de Michel Gauthier un arrière-goût d’exploit inachevé. Le dynamique concessionnaire d’Évreux – qui pilotait depuis l’avant-guerre tous les records sur piste pour la marque Simca – s’était fixé, dès que l’idée germa de faire tourner l’Aronde sur l’anneau de Montlhéry, l’objectif de rouler 100 000 km, un chiffre ambitieux certes mais a priori réalisable au vu des performances et de la fiabilité du modèle. Henri Théodore Pigozzi, le PDG de la marque, en bon visionnaire, savait qu’en ce début de renaissance économique, la concurrence – notamment celle imposée par les constructeurs étrangers – allait être sévère. Retenant les leçons d’André Citroën en matière de réclame, Pigozzi était en ce début des années 1950 le chantre de la communication massive, faisant de chaque occasion un événement relaté dans la presse. Il en fut ainsi le 17 mars 1953, date à laquelle la 100 000e Aronde tomba des chaînes de Poissy. Un tirage au sort fut organisé. Tout le directoire était présent, un représentant de la République avait été invité, ainsi qu’un parterre de journalistes au Pré Catalan devant lesquels Pigozzi fit un discours plein de verve.

100 000 à 100

Depuis la Libération, les mentalités ont changé. Grâce à l’essor de la presse et de la publicité, le grand public mieux informé et moins naïf est plus exigeant. Quelques rumeurs persistantes sur un possible trucage de certains records automobiles, dont la vocation sportive n’était en fait que de la réclame déguisée, obligent dorénavant les constructeurs à une plus grande transparence. Simca souhaite prouver la fiabilité de son modèle et recours à toutes les procédures pour chasser tout équivoque. Ainsi, lorsque le programme des 100 000 km est lancé, ce ne sont pas moins de six membres d’une commission d’usagers sous la houlette de M. Massonnet, l’inflexible commissaire de l’ACF, qui vont choisir sur diverses chaînes les éléments pour les estampiller avant de les envoyer à l’assemblage. Des précautions prises pour attester sans contestation possible que l’Aronde qui s’apprête à relever le défi est bien strictement d’origine. C’est une fois de plus Michel Gauthier qui immatricule la voiture en son nom à la préfecture d’Évreux. Un dispositif prudent qui permet en cas d’échec d’incriminer le propriétaire de l’auto et non le constructeur ! L’auto immatriculée 980 AU 27 est de couleur noire. Un non choix puisque l’auto a été assemblée le jour où toute la chaîne produisait des exemplaires de cette teinte. Un point qui ne ravit pas les pilotes puisque la tentative est programmée en plein cœur de l’été annonçant une véritable fournaise dans une auto sombre dont les vitres seront fermées afin d’améliorer l’aérodynamisme. L’équipe s’est agrandie. Michel Gauthier a recruté neuf pilotes-mécaniciens qui se succéderont au volant. Le rodage de l’auto est minutieux, de même que la sélection des pièces de rechange et outillage embarqués. À signaler que cette fois, sur les 120 kg de charge supplémentaire, un poste à souder fait partie de l’équipement. La voiture effectue presque 3 000 km avant d’être mise sous scellés en attendant le grand jour. C’est le 1er aout 1953 à 8 h du matin que 980 AU 27 s’élance sur l’anneau aux mains de Michel Gauthier. Un arrêt ravitaillement est prévu toutes les deux heures. Le changement de pilote n’intervient qu’après quatre longues heures d’affilée. Un technicien de chez Dunlop fait partie de l’aventure pour veiller sur l’état des pneumatiques qui sont changés tous les 15 000 km. Au fil des jours et des nuits, une ronde monotone s’installe sur l’autodrome. Chacun prend ses habitudes et le baraquement proche de la Potinière devient pour toute l’équipe une seconde maison. Invariablement, à la tombée du jour, des lampes tempête teintées de rouge afin de ne pas éblouir sont allumées pour baliser la piste. Hormis un gros orage dans l’après-midi du 15 août, nulle perturbation technique ou défaillance humaine n’est à signaler. Le 10 septembre 1953, quarantième jour de la chevauchée implacable de l’Aronde, le cap symbolique des 100 000 km est franchi. 39 242 tours de piste ont été effectués en 960 h 53 mn 53 sec. 16/100 à la moyenne de 104,07 km/h. 37 records viennent s’ajouter aux 27 de l’année précédente. Afin de communiquer avec des chiffres percutants, la vitesse moyenne est volontairement minimisée pour donner “100 000 à 100”.

Encore 100 000

La carrière de l’Aronde est bien lancée. Afin de satisfaire les propriétaires et d’attirer de nouveaux prospects, Simca poursuit néanmoins des opérations promotionnelles de grande envergure. En 1954, un exemplaire de série nommé Geneviève effectue 100 000 km en 100 jours dans la circulation parisienne. L’année suivante, c’est 100 usagers tirés au sort parmi les 5 000 volontaires qui se relayeront pout couvrir 100 000 km sur le réseau routier à une moyenne de 1 000 km par jour. Baptisé “la ronde des usagers”, ce tour de force durant lequel l’Aronde roule de ville en ville prouve si besoin est la robustesse du modèle. Le rachat de Ford Poissy permet à Simca d’augmenter considérablement sa capacité de production. Au mois de janvier 1957, ce ne sont pas moins de 500 000 exemplaires d’Aronde (tous modèles confondus) qui ont été produits. Remanié depuis 1956, le modèle continue à plaire au plus grand nombre. Grâce à la nouvelle ligne plus fluide, à l’amélioration du confort, de la sécurité, et enfin grâce à l’arrivée du nouveau moteur Flash (Vif comme l’éclair, voici le moteur Flash !) l’Aronde 1300 reste dans la course, s’intercalant à merveille sur le marché français entre la Renault 4 CV et la Peugeot 403. De manière à prouver qu’en dépit de ses six années de carrière l’Aronde est toujours dans le coup, Pigozzi et Gauthier décident de s’attaquer à de nouveaux records. C’est le 538 080e  exemplaire estampillé scrupuleusement par l’ACF qui servira à relever le défi. Immatriculée 1512 FW 75, l’Aronde de couleur vert Bretagne entre sur la piste de l’autodrome le 9 avril 1957 à 6 h 01 du matin. Toujours aux mains de Michel Gauthier et de sept autres pilotes-mécaniciens, la Simca devra tourner sans relâche durant 38 jours et 37 nuits. Profitant de l’expérience acquise, le temps des relais a été raccourci. Afin d’améliorer le confort de l’équipe, chaque membre dispose dorénavant d’une roulotte individuelle. Imperturbable, l’Aronde tournera en 1 mn 19 sec. à chaque tour. Le 16 mai à 14 h, la voiture maculée de poussière s’arrête enfin. Elle a parcouru sans le moindre souci 102 873,243 km à la moyenne de 112,8 km/h. Quelques heures avant, lorsqu’elle a franchi les 100 000 km, la moyenne s’établissait à 113,1 km/h. Une performance qui permet de rafler pas moins de 14 records du monde et 28 records internationaux.

Championne du Monde

Cet événement remarquable a pourtant moins d’impact que les précédents. L’attention du grand public, happé par le tourbillon de la société de consommation, est plus difficile à capter. L’opération “100 000 à 100” de 1953 reste l’exploit qui a forgé la réputation du modèle. H.T. Pigozzi ne peut se résoudre à un succès d’estime. Simca organise en grande pompe une soirée sur l’autodrome de Montlhéry intitulée Piste et Lumière. Le pourtour de l’anneau brille de toutes ses lanternes. Tout le gratin du monde automobile et l’ensemble de la presse sont invités. Sur la piste, les trois Aronde des “100 000 à 100”, “100 000 en 100”, “100 000 par 100” sont venues tenir compagnie à la nouvelle championne. Celle-ci redémarre pour un tour d’honneur et, arrivée à hauteur des stands devant le public ravi de l’événement, pulvérise symboliquement une banderole figurant une mappemonde. Le président Pigozzi dans son allocution prononce cette phrase qui sera reprise à l’envi : « Désormais, chaque propriétaire d’une Aronde pourra dire : ma voiture est une voiture championne du Monde ». Une fois sa rude mission achevée, 1512 FW 75 sera dûment décorée par de nombreux autocollants rappelant l’exploit. Ainsi grimée, l’Aronde des records ira de concessions en salons et autres manifestations publicitaires. Aucune autre Aronde ne foulera de ses pneus le béton de l’autodrome. L’ère des records touche à sa fin. L’Ariane signera la fin de cette époque en 1960 en roulant durant 200 000 km. Mais les conditions n’étant pas réunies pour que cette tentative ait lieu sur l’autodrome parisien, c’est au final le circuit de Miramas, près de Marseille, qui sera choisi. Une page vient d’être tournée…

Un grand merci à Pascal Pannetier, responsable du portail Patrimoine Sportif et Mécanique, ainsi qu’à Cécilia Poncet, responsable presse du Club Simca France.

Texte : Jean-Claude Amilhat
Photos et archives : Société d’Histoire du Groupe Renault

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