Jean Foray fait partie de cette pépinière de pilotes issus de la Coupe Kawasaki. Toujours privé, parfois de tout, il compensait avec un indéniable talent du pilotage. Brillant dans toutes les disciplines, il nous livre ici son histoire dans les championnats de vitesse sur piste.
Le 36 ? Dans les années 80, en Grands Prix, seuls 36 pilotes étaient retenus après les essais qualificatifs. Il fallait donc obtenir, au pire, cette position, sinon, c’était la ruine assurée ! ».
Voici donc l’explication de ce numéro qu’il porte depuis quatre décennies. Le parcours de Jean Foray est des plus atypiques. Ses mobs’ perso lui offrent ses premiers Grands Prix de quartier à La Celle-Saint-Cloud, en pourrissant tout le monde au virage du cimetière ! Plus tard, à l’époque bénie du permis moto accessible dès 16 ans, il le passe en candidat libre, sans avoir pris un cours. L’auto-école du coin lui prête la Jawa à double-commande… avec laquelle il se rend à l’examen (sans permis !)… et décroche le précieux sésame. Toute la famille, du père aux enfants, roule à moto. Le père s’y entendait en mécanique, persuadé que le carburateur d’Austin monté sur sa 350 Jawa la rendrait plus performante. Ne cherchons pas plus loin le goût de la mécanique qui anime Jean.
Du circuit pirate aux vrais défis
C’est l’époque bénie des circuits “du vendredi soir” : Thiverval, Villacoublay, d’anciens circuits de kart, auquel Rungis succédera. Jean se rend, sur sa Yamaha 350 YR5, au circuit de Marcoussis, entré dans le giron de la prévention routière depuis.
« Je me suis dit, après avoir vu les autres rouler, pourquoi pas moi ? Du coup, je me suis tiré la bourre avec un gars qui faisait… la Coupe Kawa. Fin de l’épisode avec la moto en feu sous les rails… mais j’avais eu le temps de mesurer que j’étais… vite ». Fini de faire le zouave sur la route, mais restait à trouver la formule, sachant qu’outre la Coupe Kawasaki, il y avait celle de Motobécane. « Bon les 125… ça se traîne… Donc choix pour l’autre, que je finance totalement, car je bosse depuis mes 16 ans comme apprenti puis carrossier chez le cousin d’Asnières, compatissant, qui me laissait les lundis pour récupérer ».
L’assistance ? Les copains, pour le transport et, pour la logistique, Evelyne, qui assure depuis les 16 ans de Jean et encore aujourd’hui, cette fonction en “complément” de celle d’épouse.
Le succès de la Coupe est énorme et quelques concessionnaires se constituent une écurie en fournissant un kit moto prêt à courir et l’équipement du pilote. Pour Jean, ce sera Pipart Moto que l’on trouvera plus tard dans le championnat du monde d’Endurance. En 1977, il y a 470 engagés dans les Journées K qui servent d’épreuves régionales de sélection. Au bout du week-end, restent 210 prétendants pour décrocher le Casque de Samouraï qui est le trophée remis au vainqueur en fin de saison. Jean n’a aucune connaissance de la machine, son frère s’étant chargé de la roder, et pas plus de rudiments d’un vrai circuit !
« L’ambiance était incroyable : le speaker nous annonce séries A et B en piste. Moi, série B, sauf que la moto était encore sur la remorque ! Arrivé quand même à temps, je suis en deuxième ligne pour mon premier départ. N’ayant jamais roulé sur un circuit, au premier freinage, je me retrouve dernier. J’apprends vite et au final, je termine cinquième ».
Les résultats ne se font pas attendre, enfin presque. À Dijon, Jean est en tête durant quasiment toute la course. Dans la remontée qui précède la ligne d’arrivée, il aperçoit le drapeau à damiers, lève les bras et… se fait déboîter à l’aspiration. C’est le métier qui rentre. La promotion de l’année comporte de sacrés couteaux : Fontan qui remportera l’édition, Le Bihan, De Puniet, Samin qui gagnera en 1978. Mais, pour Jean, la Coupe Kawa n’est pas la formule idéale pour se perfectionner. Il lui faut une véritable école.
Ne pas traîner en coupe et encore et encore moins sur la piste
À la fin des années 70, la moto surfe sur le succès des machines japonaises. Motos fiables et performantes, leurs déclinaisons “usine” ont tôt fait d’envoyer la concurrence au rang des figurants. Une partition parfaitement rédigée qui ouvre la création d’écoles de pilotages. L’une des premières est celle de l’Automobile Club de l’Ouest (ACO) au Mans. L’enseignant ? Un certain Jean-Claude Chemarin. L’élève assidu Jean Foray y brille, mais un point du règlement fait mal : la chute est éliminatoire. Jour de la finale : météo mitigée avec un mélange de pluie et de sec, un cocktail que Jean n’a jamais bu… Gamelle au freinage de La Chapelle ! Jean se relève et… gagne avec 30 secondes d’avance ! Éliminé donc, mais un garçon du nom de Thierry Espié traîne dans les parages et lui dit : « Je suis le seul à avoir voté pour toi, bon, chute d’accord, mais tu as du potentiel. Je vends ma Yam TZ 78, tu prends ? ». Il n’y a pas d’hésitation, d’autant qu’avec la machine, il y a les conseils du frère de Thierry, Yves Espié, le technicien alias “Le Professeur”.
L’école des Grands Prix
La Coupe Kawasaki comptait à la fois des amateurs qui n’avaient d’autre ambition que de tâter de la piste, et d’autres pour lesquels les résultats prometteurs devaient les destiner à une jolie carrière. Jean sera de ceux-là. En débutant le championnat de France Open en 1979, il y rencontre les frères Sarron, Christian Estrosi, Hervé Guilleux, Jean-Louis Guignabodet, dont on connaît les parcours. Pierre d’achoppement : trouver des sponsors.
« C’est vraiment mon point faible, je ne suis pas un chasseur de mécènes, mais de chronos ! Grâce à Thierry Espié, je récupère l’huile chez Castrol, parfois quelques dons de pneumatiques neufs viennent compléter ceux récupérés dans les poubelles… Je ne suis pas un cas unique, bon nombre de pilotes étaient logés à la même enseigne ». Coût d’une saison ? 10 000 F de l’époque (4 800 € actuels) !
Jean progresse d’année en année. Troisième du championnat de France en 1981, il s’aligne en championnat d’Europe, sans plus de budget, en partant à trois dans un fourgon Fiat 238, avec Gérard Vallée et Michel Galbit. Ils mettront 26 heures pour se rendre à Jarama (Espagne) depuis Paris, à la première course de la saison 82. S’aligner en Europe entraîne des boulots en Intérim par la souplesse qu’ils permettent. Cette atmosphère de SDF (Sans Disposer de Finances) pourrait plomber les résultats, il n’en sera rien, Jean est cinq fois vice-champion de France Open, et manque le titre européen en raison d’une chute au TT en 1983 : « Sept ou huit fractures, tibia, péroné, radius, cubitus, je me suis explosé cinq kilomètres avant l’arrivée, dans une succession de courbes à droite, à fond ! Dans le dernier droit, il faut freiner pour prendre un gauche, et je suis sorti à fond de six, allant droit dans une maison. Pour l’éviter, j’ai couché la moto, tapé celle d’un commissaire de piste à 175 m du circuit. On m’a retrouvé encore 75 m plus loin… au bord d’une falaise. C’était la première année où il n’y avait pas eu de mort… ».
Mais que diable allait-il faire au TT en mai, alors qu’il était en tête du championnat européen ? « Pour gagner des sous, en raison des grosses primes d’engagement », nous dit-il, en se marrant comme un gamin de cette aventure qui faillit lui coûter la vie : « Je venais de gagner à Donington. L’Île de Man, ce n’était pas bien loin ». Diagnostic : pas question de mettre le pied par terre avant trois mois. Les diagnostics, Jean s’en moque, au bout de cinq semaines, il remarche !
« Si je remarche, je peux faire de la moto, donc direction Carole en juillet, où je m’en reprends une, avec une clavicule dans
la caisse à outils. Pas grave, en deux semaines c’est réparé ! ».
Il part pour la dernière course à Assen et y termine quatrième, avec une septième place pour la saison 83. En 1984, il termine par trois fois troisième, en Suède, France et Allemagne. De telles prestations donnent forcément envie d’aller voir en Grands Prix, ce sera pour 1985.
Dans le top 15 des pilotes de GP
C’est en France que débute le championnat du Monde. Alors qu’il n’est même pas engagé à la première séance d’essais, on le retient pour la seconde. 1985, c’est la saison où arrivent les motos d’usine, tel Freddy Spencer avec Honda. Le Mans, Jean connait. Il se qualifie en première ligne avec le cinquième temps. Une perf’ si l’on considère qu’il y avait devant quelques champions du monde : Carlos Lavado, Anton Mang, et Freddy Spencer. Et quelle moto pour Jean ? Une Chevallier ex-Didier de Radiguès, qui passera entre les mains de Thierry Espié.
« Au Mans, je pars dernier, j’en remonte six, je bats le record du tour et, hélas ! problème de carbu… Je garde un formidable souvenir de cette moto, c’est en la pilotant que l’on peut mesurer quel grand homme nous avons perdu avec le décès d’Alain Chevallier en 2016 ».
Le budget de la saison ? 60 000 F (16 000 € de 2018) ! Autofinancement comme toujours. Les primes de qualifications paient les déplacements, donc clairement pour certains Grands Prix, comme la Suède, pas de qualification signifiait pas d’argent pour le retour. Si Jean a fait quelques poles, son temps en course était toujours inférieur à celui des essais. « Avec le recul, j’aurais dû me dépouiller un peu plus aux essais, afin de ne pas avoir ensuite à remonter ; en 85, je termine 26e du Mondial ».
Les saisons suivantes sont un peu plus confortables car l’organisateur prend à sa charge trois billets d’avion et 200 kg de fret pour aller au Japon ou encore en Australie. Restaient hébergement, resto, voiture de loc’. Encore fallait-il se qualifier pour être engagé sur place ! Jean restera huit ans en 250, avec une belle 19e place en 1986. En 1987, il range la Chevallier et, aidé par Ohannes Saint-Yrian Motos à Versailles, il roule sur des Yamaha compé-client, pas forcément mieux que la Cheval’, au moins au début. Pour les privés, les choses se compliquent. Les 12 motos d’usine du plateau sont plus puissantes de 25 ch et plus rapides de 25 km/h dans les bouts droits. Or seuls les dix premiers marquent des points. Pour les privés, l’histoire s’arrête quasiment à. « Le Mondial va devenir le mondial des comptes en banque, il nous restait l’espoir de la pluie pour marquer des points ».
En 1994, il “monte” en 500 avec une Yamaha-Roc, grâce au financement de la fédération. « Monter sur une 500 ? Il faut tout réapprendre. Les lignes droites deviennent trop courtes, la machine lève en sixième… Aux premiers tours de roues, j’étais trois secondes moins vite qu’en deux et demi, il y avait du boulot ! ».
Sur les 500, le vilo avait une préconisation de changement à 2 000 km. « Donc à 2 000, on démonte et l’on voit que tout est OK. On roule, on démonte à 3 000, là c’est un peu fatigué. Un vilo, c’était 60 000 F (12 500 € actuels) avec bielles et pistons, il en faut donc trois à quatre par saison. Or on s’aperçoit au démontage que bielles et pistons sont ceux de la 250. En se passant du fournisseur, on refaisait le moteur pour 5 000 F (1 050 €). Nos motos marchaient aussi bien, parfois mieux que celles nanties des pièces “obligatoires”. Du coup, on m’a viré pour manque de résultats ». Il finira 22e avec une magnifique 11e place au Mans. La 500 lui laissera le meilleur souvenir. « C’est un autre monde, c’est la guerre des étoiles. Piloter une 500, c’est merveilleux ».
Une carrière qui n’en finit pas ?
Pour un pilote, ce qui compte c’est gagner et Jean ne s’en privera pas, enfin, dans d’autres catégories que celle des Grands Prix, notamment en championnat de France. Et rencontrer Jean Foray, c’est comprendre cet amour indéfectible qu’il a de la piste. L’Endurance ? « Pour moi ce sont des courses de vieux… ». Troisième aux 24 Heures du Mans tout de même en 1985, il s’engagera ensuite en championnat 600 Thunderbike (1995), en Europe 600 (1996), Stockbike (1998), un retour en 250 National histoire d’accompagner les gamins, en National Superbike (2009), Bol d’Or classic (2008), European Bike (2012), championnat de France Superbike (2014, chute à la première épreuve au Mans et 10 min de perte de connaissance, cervicales fracturées), puis on le verra au Bol d’Argent l’an passé, un parcours d’une longévité inégalée : 40 ans sur la piste !
Aujourd’hui le nom de Foray est tout en haut des tablettes.
« Je ne me suis jamais beaucoup entraîné, car il fallait que je fasse tourner ma boîte à l’inter-saison. Sans doute aurais-je fait mieux avec un peu plus de travail sur ce temps, alors que je disais aux mômes : bossez, roulez, et ça viendra ! ». Réaliste, mais trop modeste celui qui est l’un des portraits types des privés du Continental. L’avenir ? Jean emprunterait bien la BMW de “roulage” de Kenny, champion du monde d’Endurance 2014 et de France FSBK en 2017…
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